Dans un entretien avec Le Potentiel, le professeur Lalele a donné son
point de vue sur la guerre dans l'Est de la RD Congo, dans laquelle il
souligne l'implication du Rwanda. Pour lui, ce pays est en train de
créer une colonie de peuplement en menant cette conquête coloniale.
Ci-dessous l'intégralité de l'entretien avec Freddy Mulumba.
La République démocratique du Congo passe des moments difficiles,
notamment la guerre qu’elle connaît dans sa partie orientale, dans la
province du Nord-Kivu. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Après avoir examiné attentivement cette situation, je suis arrivé à la
conclusion selon laquelle ce qui se passe dans l’Est du pays, c’est une
conquête coloniale à partir du Rwanda. Et lorsqu’on décrypte cette
guerre, elle a toutes les caractéristiques d’une conquête coloniale.
Dans celle-ci, on poursuit l’exploitation des minerais, des richesses du
sol et du sous-sol. Dans une conquête coloniale, on élimine tous les
autochtones qui montrent des velléités de résistance. Vous l’avez vu en
Amérique du Sud avec Christophe Colomb, Fernand Cortez : c’est tuer tous
ceux qui résistent. Vous l’avez vu avec Léopold II : ici, c’est le sang
sur les lianes au caoutchouc rouge, on élimine. Dans une conquête
coloniale, on exproprie pour s’approprier. On connaît la phrase célèbre
de Christophe Colomb qui dit devant les notabilités : «Messieurs,
écoutez-moi très bien. A partir d’aujourd’hui, ce territoire fait partie
du royaume d’Espagne. Cela ne vous appartient plus». Et il poursuit :
«Ces gens ne sont pas exercés au maniement des armes. Avec cinquante
personnes, on peut leur faire faire tout ce que l’on veut». C’est qui se
passe dans l’Est du pays. On tue, on déplace les populations
congolaises pour installer les Rwandais. Conformément également à ce
qu’on a vécu en Afrique du Sud, toutes les bonnes terres et les bonnes
eaux appartiennent aux Blancs.
Dans une conquête coloniale, on recycle les gens qui viennent
s’installer. Autant, il y a eu l’école d’Anvers, l’école coloniale, pour
recycler les jeunes Belges qu’on envoyait ici pour voir comment ils
devaient se comporter vis-à-vis du Noir pour l’intimider, autant le
Rwanda a institué à l’île de Iwawa un centre de recyclage des Rwandais
qui partent de leur pays. On vient leur apprendre le comportement qu’ils
doivent adopter vis-à-vis des Congolais. Et le Congo n’est pas
n’importe quelle colonie. Il est celle de peuplement. Comme on a
installé des colons dans l’ancien Kivu. Toutes les caractéristiques
d’une conquête coloniale sont présentes dans ce que nous vivons dans
l’Est de la République.
Si vous relisez les explorations, tous les Blancs qui étaient venus ici
pour exploiter, c’étaient des militaires reconnus pour leur méchanceté,
leur cruauté, à partir de lui-même Stanley. Il était un mercenaire
anglais qui s’était fait illustrer dans la guerre de sécession aux
Etats-Unis avec sa cruauté. Ici, vous avez vu comment se sont comportés
tous ceux qu’on a envoyés, des gens comme les James Kabarebe, comment
ils ont maltraité nos militaires à la base militaire de Kitona. Vous
avez vu comment les Ruberwa avec le Mouvement congolais pour la
démocratie (RCD) ont enterré des femmes vivantes à Makobola, Kasika,
Mwenga. C’est cela l’histoire. Après il y a eu Nkundabatware, Mutebusi
et Bosco Ntanganda qui sont tous des tueurs professionnels.
Certaines voix s’élèvent pour dénoncer ce qu’on appelle la balkanisation. Va-t-on balkaniser un pays où il n’y a pas de gens ?
Non. C’est-à-dire qu’il y a deux hypothèses. Au cas où on n’arrivait pas
à redompter complètement le pays, on s’empare au moins d’un morceau ou
de deux. Nous avons déjà vécu l’expérience à travers le monde, notamment
le cas de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. Pour le Vietnam du
Nord et le Vietnam du Sud, on n’a pas réussi. Ici, à l’accession du pays
à l’indépendance, ils ont voulu s’emparer de ce qu’ils appelaient le
Katanga utile, le Sud du Katanga à cause de ses minerais. Il y a eu
aussi le Sud-Kasaï à cause du diamant. Comme calcul : priver le
gouvernement central, avec Lumumba en tête, de moyens financiers pour
fonctionner. Dès que Lumumba a été éliminé, vous avez vu que les deux
sécessions se sont résorbées pratiquement d’elles-mêmes.
Si on prend le Kivu, qui est aujourd’hui, de loin plus riche que le
Sud-Katanga, Mbuji-Mayi étant déjà en faillite avec la Minière de
Bakwanga (Miba), vous n’allez pas tourner à Kinshasa. Et si vous ne
tournez pas à Kinshasa, c’est l’asphyxie.
Par ailleurs, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) est
le parti de Nkundabatware. Et à un moment donné, le CNDP avait les
ambitions de descendre jusqu’à Kinshasa. Donc, la balkanisation est une
variante. Si on n’arrive pas à prendre la femme du pays, on prend au
moins le coin le plus intéressant économiquement. C’est pour cela
d’ailleurs que le mouvement continue au Katanga.
On parle aujourd’hui du Congo Oriental qui part du Katanga jusqu’en
Ituri. Donc, si l’on voit bien, avec la balkanisation, on prendra le
Congo utile…
Voyez comment évoluent les mouvements de ce qu’ils appellent les
milices? Ce n’est pas le Nord-Katanga, mais le Sud-Katanga avec Pweto,
Kilwa … où se trouvent les gisements de cuivre et de cobalt. Cela va
continuer dans l’axe de Kalemie. Et c’est plus facile de relier avec
l’Ituri, une partie de la Province Orientale convoitée plus par
l’Ouganda à cause du pétrole, de l’or, du diamant et du bois d’œuvre. Ce
n’est pas toute la Province Orientale qui intéresse mais c’est l’Ituri
qui venait d’ailleurs de dénoncer l’expiration de la date pour la
création des provinces et qui y revient aujourd’hui.
Or, on sait que la nappe de pétrole de l’Ituri est ce qu’on appelle le
pétrole bleu, le plus riche qu’on a en Afghanistan et à Pointe Noire, au
Congo-Brazzaville. Cette nappe est à cheval entre le Congo et
l’Ouganda. Son exploitation en Ouganda est plus coûteuse. C’est ainsi
qu’ils ont décidé d’exploiter ce pétrole bleu en Ituri pour le raffiner
en Ouganda. La guerre est essentiellement économique.
C’est quand même curieux qu’on tienne à Kinshasa un certain discours
provenant du monde occidental selon lequel le Congo étant très grand et
très riche, il faut le diviser parce que les Congolais ne savent pas le
gérer. Aussi se pose-t-on la question de savoir pourquoi la Chine ne
tient-elle pas le même discours ?
D’abord, c’est un discours opportuniste. La Belgique, malgré ses petites
dimensions géographiques, a dirigé ce pays dans son entièreté. Elle
s’est opposée à son découpage. C’était un Congo uni. On avait procédé à
des permutations des territoriaux. Quelqu’un de la province du Bas-Congo
pouvait aller travailler à Mbuji-Mayi sans qu’il ne soit pris pour un
étranger. Cela a marché. Mais ici, c’est diviser pour régner. Faut-il
entrer là-dedans. Nous pensons que non parce que l’évolution mondiale
des pays, c'est de constituer de grands ensembles. Nous avons, par
exemple, les Etats-Unis d’Amérique et l’Union européenne. Mais ici, on
vous dit que si vous voulez avancer très bien, il faut qu’on découpe.
Non. Il y a une part de vérité là-dedans, c’est-à-dire que nous nous
sommes montrés en grande partie incapables de nous gérer correctement.
Même là, il faut approfondir la réflexion. Depuis Mobutu, qui a mis nos
dirigeants au pouvoir ? Ce sont eux-mêmes qui les installent au pouvoir.
Et ils qualifient d’incapables. Ils ont fait tuer tous les dirigeants
capables, les Lumumba, Laurent-Désiré Kabila et autres. Ils écartent les
gens capables pour nous donner les incapables pour dire après que ce
sont des politiciens boiteux comme des entreprises boiteuses,
c’est-à-dire des coupons.
Tout le monde se plaint. Que faut-il faire pour éviter cette guerre coloniale et cette balkanisation ?
C’est justement le travail que le Groupe Le Potentiel est en train de
faire. Il faut conscientiser. Il faut sensibiliser. Il faut aider le
Congolais à récupérer la confiance en lui-même. Parce que pour ce que
nous sommes en train de vivre, beaucoup de Congolais se croient battus
d’avance en se disant que nous devons subir parce que les autres sont
plus forts. L’histoire nous apprend très clairement beaucoup de choses.
Qui pouvait croire que la Belgique pouvait, un jour, quitter ce pays ?
Les Belges ont fini par le faire. Relisez la guerre du Vietnam de
manière méditative. Quand les Vietnamiens ont commencé, on leur disait
qu'ils menaient la guerre des sauterelles contre les éléphants. Mais
vous verrez qu’un jour, les sauterelles vont battre les éléphants.
Souvenez-vous de l’histoire de David et Goliath. Si les gens sont
convaincus qu'ils peuvent, un jour, vaincre, ce serait formidable. Alors
on pourrait s'inspirer de la grande guerre du Vietnam. Ce n’est pas
l’arme, mais c’est l’homme qui décide de l’issue d'une guerre. Nous
avons perdu notre confiance. Il nous faut nous réarmer moralement.
Source: Le Potentiel, du 21/06/2012
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