Mushaki, Masisi
Depuis le camp de casques bleus sud africain installé dans la vallée, de la musique monte jusque Mushaki, sur les contreforts du massif du Masisi. Des bergers suivent leurs troupeaux le long des pentes herbeuses, des touristes viennent pique niquer au milieu des verts pâturages. Comment croire que, voici quelques semaines encore, le fracas des tirs et des bombes se répercutait d’une colline à l’autre, que les habitants fuyaient, que la résidence du général Bosco Ntaganda était encerclée par les forces régulières congolaises ?
Depuis lors, le calme est revenu, plus de vingt tonnes d’armes et de munitions ont été découvertes dans la résidence de l’officier, cible de la Cour pénale internationale pour des crimes commis en Ituri et confirmés par les témoignages de Thomas Lubanga à La Haye.
Accusé d’avoir fomenté une mutinerie, Bosco, que même les Tutsis congolais de sa communauté auraient lâché, car il préférait le business à la guerre, se serait réfugié plus à l’est, du côté du parc des Virunga et de la ville frontière de Bunagana, sinon plus loin encore. D’aucuns assurent qu’il ne se trouve plus en territoire congolais, ni Kigali ni Kinshasa ne souhaitant le voir comparaître devant la CPI…
Depuis Goma jusqu’aux contreforts du Masisi, l’armée congolaise a pris position. Des militaires fouillent calmement les véhicules, vérifient les identités, veillant à empêcher tout approvisionnement des militaires mutins qui ont traversé le parc et se sont adossés à la frontière. Car un nouveau mouvement rebelle, le M23, est apparu au Congo en avril dernier. Il est composé d’anciens compagnons de Bosco et de nostalgiques du général tutsi Laurent Nkunda, toujours retenu au Rwanda à la suite d’accords de paix conclus en 2009 entre Kinshasa et Kigali et qui – jusqu’à présent- semblaient sincères.
Les revendications des mutins ont un curieux air de déjà vu : alors que les officiers issus du CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) sont déployés à des postes clés dans tout l’Est de la République, et que nombre d’entre eux sont demeurés loyaux à l’armée gouvernementale, les mutins se plaignent de leur grade, de leurs soldes, refusent d’être mutés dans d’autres provinces que le Kivu, exigent le retour des réfugiés tutsis congolais qui se trouvent toujours au Rwanda.
Le nom de leur mouvement fait référence au 23 mars 2009, date de la signature des accords, dont ils exigent l’application intégrale.
Dans la ville de Sake, Bwindo, militant d’un mouvement associatif, nous confie sa surprise au lendemain des combats: « les militaires congolais, membres de la force d’intervention rapide (un bataillon formé à Kindu par des instructeurs belges) se comportent correctement avec la population. Ils ne quémandent rien et rassurent les civils au lieu de les rançonner. » D’autres sources confirment que les forces congolaises ont engrangé des victoires significatives contre les rebelles, s’emparant de stocks de munitions et d’armes lourdes. Delphine, une vieille amie retrouvée à Goma, ne cache pas son enthousiasme : « pour la première fois, nous sommes fiers de notre armée. Elle démontre que, bien encadrés, nos soldats peuvent faire du bon travail… »
Ces avancées militaires marquent cependant le pas : dans la région de Rutshuru, à Runyoni sur la frontière rwandaise, les mutins qui, hier, n’étaient que quelques centaines et avaient été forcés de battre en retraite, apparaissent soudain plus pugnaces et surtout plus nombreux et mieux équipés ; les armes lourdes qu’ils avaient abandonné dans le Masisi ont refait surface.
Des témoignages recueillis au siège de la Monusco (Mission des Nations unies pour le Congo) agitent Goma depuis huit jours et ils jettent une autre lumière sur les évènements. Durant plusieurs jours, en présence de représentants onusiens, deux délégations, congolaise et rwandaise, ont écouté et passé au crible des récits de jeunes déserteurs ayant fui les rangs des rebelles. Leur premier témoignage a été recueilli par la Monusco, une seconde audition, en présence de témoins rwandais et congolais, a fait l’objet d’un procès verbal et d’un enregistrement video, mais la partie rwandaise a rédigé sa propre version. Selon l’un des témoins, présent aux deux audiences, les hommes ne se sont ni dédits ni contredits, livrant la même histoire, au grand dam de la délégation venue de Kigali qui a tenté de minimiser les informations recueillies.
Onze de ces déserteurs, ayant quitté les rangs des mutins, s’étaient réfugiés auprès du bataillon indien de la Monusco à Rugari (sur la frontière) dix autres s’étaient rendus aux forces congolaises et n’ont pas été auditionnés.
Le premier groupe se compose de dix adultes rwandais, qui ont précisé qu’ils étaient motards ou chômeurs, tous Hutus, d’un jeune de quinze ans, Tutsi.
D’après les dires de ces hommes, c’est en février dernier (donc bien avant l’éclatement de la rébellion en avril ) que ces individus ont été recrutés à Mudende au Rwanda. Ils ont expliqué que, désireux d’échapper à la pauvreté et de trouver un emploi stable, ils souhaitaient devenir militaires dans l’armée rwandaise et, dans cet espoir, se laissèrent circonvenir par des inconnus. Après un passage par le camp militaire de Bigogwe au Rwanda, ils furent déposés dans un hôtel à Kinigi, tenu par le frère de Bosco Ntaganda, lieu d’origine de la famille.
Depuis cet endroit, des militaires portant l’uniforme rwandais dirigèrent le groupe vers un autre lieu où leur furent retirés papiers d’identité, téléphone et argent rwandais, contre promesse de récupérer plus tard ces effets personnels.
Dans un dépôt de munitions, le petit groupe se vit confier des caisses à transporter. Toujours escortés par des militaires rwandais, les recrues traversèrent la forêt jusqu’à ce qu’elles rencontrent d’autres hommes portant cette fois l’uniforme de l’armée congolaise. Arrivés à Runyoni, en territoire congolais, on leur déclara qu’ils allaient recevoir une formation militaire de deux semaines.
Quant aux autres déserteurs, recueillis, eux, par l’armée congolaise, leurs témoignages ont été collationnés par cette dernière mais n’ont pas été soumis à la Monusco. Il apparaît que, sur un groupe de 13 hommes, deux étaient d’anciens rebelles hutus. Ces derniers avaient été, voici plusieurs mois déjà, rapatriés au Rwanda par la Monusco. Ils vivaient à Kinigi, d’où ils furent embarqués de force dans un camion, en compagnie d’autres recrues. Eux aussi arrivèrent à Runyoni, au Congo, où on leur ordonna de participer à la construction d’un nouveau camp militaire. D’après les récits de ces déserteurs, ces hommes recrutés au Rwanda n’ont pas seulement été chargés de transporter des caisses de munitions, (210 boîtes, d’après l’un d’entre eux), ils ont aussi amené de l’autre côté de la frontière des armes lourdes, dont une arme anti-aérienne : « c’est pour abattre les hélicoptères de l’armée congolaise » leur aurait déclaré l’un des militaires du M23…
Les observateurs ont constaté en effet que l’armée congolaise n’a pas lésiné sur les moyens, bombardant les positions rebelles avec des chars et des hélicoptères de combat, utilisés jusque dans le parc des Virunga.
Initialement révélées par un document interne de la Monusco, et diffusées par la BBC à la suite d’une fuite, confirmées ensuite par les dépositions des déserteurs recueillies à Goma, ces informations ont causé un embarras considérable dans la région, même si les déserteurs n’ont été utilisés que comme porteurs et hommes de main.
En effet, depuis 2009, les relations entre Kinshasa et Kigali sont considérées comme excellentes, scellées par la mise à l’écart de Laurent Nkunda au profit de son adjoint Bosco Ntaganda, et par la transformation du CNDP en parti politique membre de la majorité présidentielle. Des opérations militaires conjointes ont infligé de sérieux revers aux rebelles hutus, la coopération en matière de sécurité a permis une certaine stabilisation de l’Est du Congo, le CNDP s’est ouvertement prononcé en faveur du président Kabila lors des dernières élections, au détriment de son principal rival dans la région, Vital Kamerhe, l’accent a été mis sur la coopération régionale.
Or, si elles se confirment et se précisent, les informations recueillies à Goma indiquent que, bien avant l’apparition « officielle » de la mutinerie de quelques officiers tutsis, quelque chose se tramait de l’autre côté de la frontière.
Le Rwanda, qui avait offert sa « médiation » dans un conflit qualifié de « congolo-congolais » et accueilli plusieurs délégations congolaises de haut niveau, a réagi avec virulence, accusant les Nations unies de manipulation et soulignant le rôle négatif joué par des « acteurs non étatiques » c’est-à-dire des ONG comme Human Rights Watch.
Quant aux autorités de Kinshasa, elles ont adopté un profil bas, se contentant d’enregistrer les témoignages recueillis par les Nations unies, sans commenter ce qui pourrait apparaître comme un double jeu.
Quant aux fonctionnaires onusiens, ils ont accueilli à Goma le représentant spécial de l’ONU au Congo, l’Américain Richard Meece, qui fait face à l’ire de Kigali. Au lendemain de cette visite éclair, l’un des enquêteurs, sous couvert d’anonymat, nous a confié : « il fallait bien que la vérité sur cette nouvelle « rébellion » sorte un jour ; à force de me taire, je finissais par ne plus pouvoir me regarder dans la glace… »
Source: Carnet de Colette Braeckman, du 4 Juin 2012
Depuis lors, le calme est revenu, plus de vingt tonnes d’armes et de munitions ont été découvertes dans la résidence de l’officier, cible de la Cour pénale internationale pour des crimes commis en Ituri et confirmés par les témoignages de Thomas Lubanga à La Haye.
Accusé d’avoir fomenté une mutinerie, Bosco, que même les Tutsis congolais de sa communauté auraient lâché, car il préférait le business à la guerre, se serait réfugié plus à l’est, du côté du parc des Virunga et de la ville frontière de Bunagana, sinon plus loin encore. D’aucuns assurent qu’il ne se trouve plus en territoire congolais, ni Kigali ni Kinshasa ne souhaitant le voir comparaître devant la CPI…
Depuis Goma jusqu’aux contreforts du Masisi, l’armée congolaise a pris position. Des militaires fouillent calmement les véhicules, vérifient les identités, veillant à empêcher tout approvisionnement des militaires mutins qui ont traversé le parc et se sont adossés à la frontière. Car un nouveau mouvement rebelle, le M23, est apparu au Congo en avril dernier. Il est composé d’anciens compagnons de Bosco et de nostalgiques du général tutsi Laurent Nkunda, toujours retenu au Rwanda à la suite d’accords de paix conclus en 2009 entre Kinshasa et Kigali et qui – jusqu’à présent- semblaient sincères.
Les revendications des mutins ont un curieux air de déjà vu : alors que les officiers issus du CNDP (Conseil national pour la défense du peuple) sont déployés à des postes clés dans tout l’Est de la République, et que nombre d’entre eux sont demeurés loyaux à l’armée gouvernementale, les mutins se plaignent de leur grade, de leurs soldes, refusent d’être mutés dans d’autres provinces que le Kivu, exigent le retour des réfugiés tutsis congolais qui se trouvent toujours au Rwanda.
Le nom de leur mouvement fait référence au 23 mars 2009, date de la signature des accords, dont ils exigent l’application intégrale.
Dans la ville de Sake, Bwindo, militant d’un mouvement associatif, nous confie sa surprise au lendemain des combats: « les militaires congolais, membres de la force d’intervention rapide (un bataillon formé à Kindu par des instructeurs belges) se comportent correctement avec la population. Ils ne quémandent rien et rassurent les civils au lieu de les rançonner. » D’autres sources confirment que les forces congolaises ont engrangé des victoires significatives contre les rebelles, s’emparant de stocks de munitions et d’armes lourdes. Delphine, une vieille amie retrouvée à Goma, ne cache pas son enthousiasme : « pour la première fois, nous sommes fiers de notre armée. Elle démontre que, bien encadrés, nos soldats peuvent faire du bon travail… »
Ces avancées militaires marquent cependant le pas : dans la région de Rutshuru, à Runyoni sur la frontière rwandaise, les mutins qui, hier, n’étaient que quelques centaines et avaient été forcés de battre en retraite, apparaissent soudain plus pugnaces et surtout plus nombreux et mieux équipés ; les armes lourdes qu’ils avaient abandonné dans le Masisi ont refait surface.
Des témoignages recueillis au siège de la Monusco (Mission des Nations unies pour le Congo) agitent Goma depuis huit jours et ils jettent une autre lumière sur les évènements. Durant plusieurs jours, en présence de représentants onusiens, deux délégations, congolaise et rwandaise, ont écouté et passé au crible des récits de jeunes déserteurs ayant fui les rangs des rebelles. Leur premier témoignage a été recueilli par la Monusco, une seconde audition, en présence de témoins rwandais et congolais, a fait l’objet d’un procès verbal et d’un enregistrement video, mais la partie rwandaise a rédigé sa propre version. Selon l’un des témoins, présent aux deux audiences, les hommes ne se sont ni dédits ni contredits, livrant la même histoire, au grand dam de la délégation venue de Kigali qui a tenté de minimiser les informations recueillies.
Onze de ces déserteurs, ayant quitté les rangs des mutins, s’étaient réfugiés auprès du bataillon indien de la Monusco à Rugari (sur la frontière) dix autres s’étaient rendus aux forces congolaises et n’ont pas été auditionnés.
Le premier groupe se compose de dix adultes rwandais, qui ont précisé qu’ils étaient motards ou chômeurs, tous Hutus, d’un jeune de quinze ans, Tutsi.
D’après les dires de ces hommes, c’est en février dernier (donc bien avant l’éclatement de la rébellion en avril ) que ces individus ont été recrutés à Mudende au Rwanda. Ils ont expliqué que, désireux d’échapper à la pauvreté et de trouver un emploi stable, ils souhaitaient devenir militaires dans l’armée rwandaise et, dans cet espoir, se laissèrent circonvenir par des inconnus. Après un passage par le camp militaire de Bigogwe au Rwanda, ils furent déposés dans un hôtel à Kinigi, tenu par le frère de Bosco Ntaganda, lieu d’origine de la famille.
Depuis cet endroit, des militaires portant l’uniforme rwandais dirigèrent le groupe vers un autre lieu où leur furent retirés papiers d’identité, téléphone et argent rwandais, contre promesse de récupérer plus tard ces effets personnels.
Dans un dépôt de munitions, le petit groupe se vit confier des caisses à transporter. Toujours escortés par des militaires rwandais, les recrues traversèrent la forêt jusqu’à ce qu’elles rencontrent d’autres hommes portant cette fois l’uniforme de l’armée congolaise. Arrivés à Runyoni, en territoire congolais, on leur déclara qu’ils allaient recevoir une formation militaire de deux semaines.
Quant aux autres déserteurs, recueillis, eux, par l’armée congolaise, leurs témoignages ont été collationnés par cette dernière mais n’ont pas été soumis à la Monusco. Il apparaît que, sur un groupe de 13 hommes, deux étaient d’anciens rebelles hutus. Ces derniers avaient été, voici plusieurs mois déjà, rapatriés au Rwanda par la Monusco. Ils vivaient à Kinigi, d’où ils furent embarqués de force dans un camion, en compagnie d’autres recrues. Eux aussi arrivèrent à Runyoni, au Congo, où on leur ordonna de participer à la construction d’un nouveau camp militaire. D’après les récits de ces déserteurs, ces hommes recrutés au Rwanda n’ont pas seulement été chargés de transporter des caisses de munitions, (210 boîtes, d’après l’un d’entre eux), ils ont aussi amené de l’autre côté de la frontière des armes lourdes, dont une arme anti-aérienne : « c’est pour abattre les hélicoptères de l’armée congolaise » leur aurait déclaré l’un des militaires du M23…
Les observateurs ont constaté en effet que l’armée congolaise n’a pas lésiné sur les moyens, bombardant les positions rebelles avec des chars et des hélicoptères de combat, utilisés jusque dans le parc des Virunga.
Initialement révélées par un document interne de la Monusco, et diffusées par la BBC à la suite d’une fuite, confirmées ensuite par les dépositions des déserteurs recueillies à Goma, ces informations ont causé un embarras considérable dans la région, même si les déserteurs n’ont été utilisés que comme porteurs et hommes de main.
En effet, depuis 2009, les relations entre Kinshasa et Kigali sont considérées comme excellentes, scellées par la mise à l’écart de Laurent Nkunda au profit de son adjoint Bosco Ntaganda, et par la transformation du CNDP en parti politique membre de la majorité présidentielle. Des opérations militaires conjointes ont infligé de sérieux revers aux rebelles hutus, la coopération en matière de sécurité a permis une certaine stabilisation de l’Est du Congo, le CNDP s’est ouvertement prononcé en faveur du président Kabila lors des dernières élections, au détriment de son principal rival dans la région, Vital Kamerhe, l’accent a été mis sur la coopération régionale.
Or, si elles se confirment et se précisent, les informations recueillies à Goma indiquent que, bien avant l’apparition « officielle » de la mutinerie de quelques officiers tutsis, quelque chose se tramait de l’autre côté de la frontière.
Le Rwanda, qui avait offert sa « médiation » dans un conflit qualifié de « congolo-congolais » et accueilli plusieurs délégations congolaises de haut niveau, a réagi avec virulence, accusant les Nations unies de manipulation et soulignant le rôle négatif joué par des « acteurs non étatiques » c’est-à-dire des ONG comme Human Rights Watch.
Quant aux autorités de Kinshasa, elles ont adopté un profil bas, se contentant d’enregistrer les témoignages recueillis par les Nations unies, sans commenter ce qui pourrait apparaître comme un double jeu.
Quant aux fonctionnaires onusiens, ils ont accueilli à Goma le représentant spécial de l’ONU au Congo, l’Américain Richard Meece, qui fait face à l’ire de Kigali. Au lendemain de cette visite éclair, l’un des enquêteurs, sous couvert d’anonymat, nous a confié : « il fallait bien que la vérité sur cette nouvelle « rébellion » sorte un jour ; à force de me taire, je finissais par ne plus pouvoir me regarder dans la glace… »
Source: Carnet de Colette Braeckman, du 4 Juin 2012
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