A la mi-août, le barrage d'Inga étant occupé, les Kinois se retrouvent sans électricité et sans eau. Des bébés meurent dans leur couveuse, des patients rendent l'âme sur la table d'opération. Les médicaments se périment parce que les réfrigérateurs ne fonctionnent plus. L'essence se fait rare, la capitale se trouve pratiquement privée de transport. Dans la vie quotidienne, le peuple sent la guerre se rapprocher à grandes enjambées, l'assaut de Kinshasa par les armées rwando-ougando-rebelle est imminent.
Le 16 août, Dieudonné Kabengele, le commandant rebelle de Matadi, annonce que ses troupes seront à Kinshasa dans une semaine. Des avions continuent de débarquer des troupes rwandaises à Kitona. Plusieurs milliers de soldats rwandais et ougandais, renforcés par au moins 6.000 rebelles ex-FAZ préparent l'attaque de la capitale. Et tous les Kinois craignent d'autres mauvaises surprises. Ils savent qu'à Brazzaville, plusieurs milliers d'éléments de la DSP, récupérés par Sassou Nguesso, sont mobilisés. A Kinshasa, on croit qu'ils se tiennent en réserve pour intervenir au moment opportun.
Comme un naufragé, le Kinois se cramponne à des pailles d'espoir. Il a vu à la télévision quelques pelotons de soldats zimbabwéens débarquer à N’Djili. Des gens proches du pouvoir affirment que le Zimbabwe enverra 600 hommes et qu'un nombre important sont déjà à Kinshasa depuis une semaine. Mugabe aurait également déployé quatre chasseurs.
Ce jour où l'on sent que tout peut être perdu dans la semaine, ce 16 août 1998, Kabila prend la parole. «Le petit Rwanda et l'Ouganda ne vont pas avaler le Congo. D'ailleurs, les 24 heures prochaines seront décisives. Il faut comprendre que la victoire doit nous appartenir. C'est le message que je lance à notre peuple: de braver les complots, de s'armer, de soutenir son armée et de vaincre les agresseurs ».
A Luanda, Dos Santos, Kabila et Sam Nujoma discutent du danger de déstabilisation de la région. Ils annoncent que les ministres de la Défense du Zimbabwe, de l'Angola, de la Namibie et du Congo se rencontreront le lendemain à Harare dans le cadre de la SADC. Le 17, neuf des quatorze ministres de la Défense y sont effectivement présents. Le commandant Joseph Kabila, à peine revenu d'une formation militaire en Chine, est nommé chef de l'état-major des FAC, et le général Kalume y défendent la cause du Congo agressé. Ed Marek a eu la nette impression que «la France et les Etats-Unis ont insisté auprès de l'Angola pour ne pas se mêler de la rébellion congolaise. Le sentiment est que ces deux puissances occidentales veulent un changement de gouvernement à Kinshasa».
Le gouvernement angolais, par la bouche du vice-ministre des Affaires extérieures Jorge Chicote, annonce les résultats de la rencontre. «Nous avons pris une décision collective que toutes sortes d'aides doivent être accordées au président Kabila, y compris un soutien militaire. Il y a une guerre là-bas qui doit être arrêtée. Les ministres de la Défense de la SADC ont décidé d'intervenir et cela doit être fait». Grâce à cette phrase, le destin du Congo bascule. Si la redoutable armée angolaise entre dans la danse, les Rwandais et Ougandais vont cesser de s'amuser au Congo. D'ailleurs, le Maréchal zimbabwéen Perence Shiri, qui a commandé des unités entraînées par les Nord-Coréens, dirigera les forces alliées au Congo.
Kitona : un tournant décisif
Le 21 août encore, un journal sud-africain influent pense que la partie est gagnée pour l'alliance Etats-Unis - Afrique du Sud - Ouganda - Rwanda - Rébellion. Mail and Guardian écrit ce jour-là : «Une tentative de dernière minute entreprise par une coalition d'Etats pour sauver le régime périclitant de Kabila est peut-être venue trop tard, alors que les rebelles anti-gouvernementaux continuent leur marche inexorable vers Kinshasa. (. .. ) On rapporte que Kabila lui-même a pris la fuite vers Lubumba¬shi».
Or, ce même 21 août, les troupes angolaises se déploient au Congo. En trois jours, nous assisterons à un retournement spectaculaire de la situation militaire.
Les Angolais sont entrés en force. Les Zimbabwéens, qui protégeaient déjà Kinshasa et son aéroport, ont en même temps considérablement augmenté leurs effectifs. Mugabe avait initialement sous-estimé le nombre des forces étrangères présentes en RDC et les renforts zimbabwéens ont été dépêchés lorsqu'il s'est avéré que «l'Ouganda a acheminé par avion des troupes rwandaises pour combattre avec les rebelles armés par l'Afrique du Sud». Le 27 août, 2.800 soldats zimbabwéens sont déjà au Congo et 2.200 parachutistes se tiennent prêts à y intervenir.
C'est donc la participation massive à l'agression de la part de l'Ouganda, longtemps restée dans l'ombre, qui décide Mugabe à s'engager à fond. Mugabe comprend que si l'Ouganda et le Rwanda ont préparé ensemble cette aventure, c'est qu'elle a des ramifications beaucoup plus importantes ...
Bien sûr, au même moment, à Kampala, le général Salim Saleh, frère du président Museveni, dément que les forces ougandaises soient impliquées dans le «conflit interne» au Congo : elles sont en RDC uniquement pour des raisons liées à la sécurité de l'Ouganda. Le général Saleh affirme ceci : «Nous sommes physique ment attaqués par Kabila, le Zimbabwe et l'Angola ... Nous n'allons pas quitter le Congo. Nous y sommes allés pour sauver nos intérêts nationaux ... Nous avons la preuve que Kabila se préparait à nous attaquer sur toute la frontière. Il nous fallait nous défendre ».
Dès le 21 août, dos Santos engage 2.500 troupes d'infanterie et un nombre important d'avions militaires. Les 22 et 23 août, l'Angola livre des combats meurtriers à Kitona et prend la base militaire. Des témoins disent que l'armée angolaise n'a pas fait de cadeau. Devant leur refus de se rendre, pratiquement tous les militaires rwandais et ougandais qui s'y trouvaient, ont été achevés en moins de 90 secondes dans un déluge de feu craché par les orgues de Staline et les canons des chars. Il y a 942 morts du côté des agresseurs.
La prise de Kitona est un tournant. Kinshasa ne sera pas asphyxiée. On comprend que le porte-parole du State Department américain ait rapidement sommé l'Angola et le Zimbabwe de retirer leurs troupes du Congo. James Foley déclara: «Des forces étrangères ne devaient pas être là».168
S'il n'y avait que les vaillants rebelles «zaïrois», la catastrophe de Kitona aurait marqué la fin de cette aventure pitoyable. Mais les véritables organisateurs de l'agression se trouvent ailleurs. Shabani Bantaria, capitaine de l'armée ougandaise, dit le 21 août à Reuters que «les interventions du Zimbabwe et de l'Angola ne seront pas suffisantes pour écraser une rébellion interne. Les rebelles vont simplement marcher vers l'Est et rester hors de portée des forces d'intervention, jusqu'à ce que ces dernières ne soient plus effectives». 169 C'est -à-dire que les planificateurs de l'agression ont évalué différentes hypothèses, dont celle de l'échec du raid aventuriste sur Kitona ... Ils disposent de scénarios alternatifs.
A cent cinquante kilomètres à l'intérieur du territoire congolais, un touriste britannique a vu une colonne de 500 troupes de combat ougandaises avec deux tanks et de l'artillerie antiaérienne. L'armée ougandaise occupe déjà Watsa, Isiro, et Wamba et entre à Kisangani le 23 août. L'armée rwandaise, après avoir occupé Walika1e et Lubutu, fait son entrée à Kisangani au même moment. 170
Le colonel Chancellor Diye, porte-parole des Forces de défense du Zimbabwe, déclare que les Forces congolaises, namibiennes et zimbabwéennes défendant Kinshasa ont détruit le dimanche 23 août un grand nombre de véhicules blindés et de chars ainsi que 20 camions des rebelles. «Les Forces alliées de la SADC (Communauté pour le Développement de l'Afrique Australe) ont fait d'énormes progrès depuis leur déploiement et nous nous attendons à ce que le front occidental soit nettoyé sous peu. Confrontés à l'arrière à une avance des forces angolaises venant de Kitona, les rebelles n'ont d'autres choix que de se rendre ou de subir de lourdes pertes ».
Pris en tenaille entre l'armée zimbabwéenne et angolaise, les agresseurs n'ont plus que peu de chances de réussir le coup téméraire longuement préparé. Mais si l'intervention angolaise avait encore été retardée une semaine, l'histoire du Congo aurait probablement basculée.
Source: Le Potentiel, du 02/08/2011
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