Réunis en session ordinaire du 28 mai au 2 juin 2012, les
Evêques de l’Assemblée Episcopales Provinciales de Bukavu (ASSEPB) sont restés
unanimes, pour reconnaître la dégradation avancée de la situation sécuritaire
dans cette partie de la République Démocratique du Congo. Recrudescence
concomitante ça et là de crimes odieux attribués à des bandes et à des individus
armés ; massacres des populations, incendies des habitations, déplacements
massifs des populations ; mutinerie des soldats à Uvira, évasion des militaires
à Bukavu et défection des troupes à Eringeti ; rancœurs qui naissent chez les
gens…, entretenus par toutes sortes de convoitises qui, à l’intérieur du pays
ont des relais et, à l’étranger, des tentacules, y compris la gestion
calamiteuse des réfugiés rwandais par la communauté internationale, voilà le
sombre tableau dressé par les prélats de Bukavu. Loin de tomber dans le
scepticisme, ni le désespoir, ils apportent, au terme de leur cogitation, une
solution. Laquelle ? Sans aller par le dos de la cuillère, les Evêques
préconisent la voie pacifique, pour la sortie de crise. De fait, ils invitent le
Gouvernement, qu’ils félicitent, du reste, pour des avancées visibles dans
plusieurs secteurs de la bonne gouvernance : monnaie stable, paiement des
salaires dans le mois, police et armée progressivement équipées, infrastructures
réhabilitées ou bâties, lutte contre la corruption, à tout faire pour que le 30
juin prochain, les congolais célèbrent dans la dignité et la paix, le 52ème
anniversaire. C’est pour que le chant du psalmiste « Qu’il est bon, qu’il est
doux pour des frères d’habiter ensemble », Psaume 33 : 2, résonne dans le cœur
de chaque congolais. Voici l’intégralité du message des Evêques de Bukavu.
Message des Evêques de l\'Assemblée Episcopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB)
aux autorités politiques de la RD Congo, sur la situation au Nord et au Sud Kivu
A quand la paix à l’Est de la RD Congo ? (Qu’il est bon qu’il est doux pour des
frères d’habiter ensemble, Ps 33, 2) Introduction Nous, archevêque et évêques de
la Province ecclésiastique de Bukavu, réunis en session ordinaire du 28 mai au
02 juin 2012, avons partagé durant quatre jour les joies et les peines, les
angoisses et espoirs des fidèles chrétiens de nos diocèses, de la population de
notre région en particulier et de tout notre pays en général. Parmi les
objectifs de nos préoccupations, nous avons relevé une convergence d’indices qui
évoquent le spectre d’une guerre aux contenus et aux mobiles encore cachés. Par
le passé, ce sont des signes apparemment simples au départ qui ont dégénéré en
conflits généralisés. Il faut pouvoir anticiper et prévenir. En effet, des
conflits armés structurés sont de nouveau observés dans le Nord et le Sud Kivu,
sous des dénominations variées. Ces hostilités entraînent des déplacements
massifs des populations à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Ces péripéties
sont accompagnées d’une intensification sans précédent du banditisme armé, qui
se manifeste par le phénomène de coupeurs de route, de fleuve et de lac, de
sorte que s’installe une misère sordide.
1. Faits récents.
Quelques faits et
événements significatifs d’actualité montrent en effet que la situation sociale,
sécuritaire et politique de notre pays pourrait encore déborder si les autorités
nationales et internationales n’y apportent pas l’attention requise. La reprise
des violences des groupes armés au Nord Kivu, à la suite du mandat de la cour
Pénale Internationale(CPI) pour l’arrestation du Général Bosco NTAGANDA ;
• La
recrudescence concomitante ça et là de crimes odieux attribués à des bandes et à
des individus armés ;
• Des massacres des populations, des incendies
d’habitations, et des déplacements massifs des populations ;
• Le réveil du
mouvement Maï-Maï pour des raisons mal connues ;
• La mutinerie de soldats à
Uvira, l’évasion de militaires à Bukavu et la défection de troupes à Eringeti,
dans le territoire de Beni ;
• Les récents évènements de Bunyakiri qui ont
entraîné la mort de dizaines de civils congolais et des blessures de casques
bleus ;
• Les rancoeurs qui naissent chez les gens, dans plusieurs localités de
la RD Congo, à cause de déguerpissements de familles entières sur ordre des
pouvoirs publics pour lotissements inadéquats, ou pour aliénation du patrimoine
immobilier public, fait par des fonctionnaires même de l’Etat ;
• Beaucoup
d’autres faits du même genre donnent aux gens à penser que l’Etat n’existe guère
ou en tout cas il ne remplit pas comme il faut sa mission régalienne de protéger
tous les citoyens, sans discrimination en leur assurant la sécurité, la paix et
la prospérité légitimes. C’est dans ce climat que certain s’improvisent seigneur
de guerre. De la sorte, une résurgence aussi ample de groupes armés pose de
sérieuses questions de gouvernance locale, nationale, régionale, et
internationale. Il nous convient par conséquent de nous y arrêter un instant.
2.
Différents mobiles comme causes lointains de la guerre
Une guerre ravageuse se
nourrit des pullulements de violences telles que celles décrites ci- haut; elle
s’enracine dans des problèmes oubliés, avec des solutions biaisées comme celles
des réfugiés rwandais. Les guerres s’abreuvent également à la source des
disfonctionnements sociétaires internes qui génèrent injustices, iniquités,
rancœurs et déclenchent le cercle infernal de la vengeance. Elles sont
entretenues par toutes sortes de convoitises qui, à l’intérieure du pays ont des
relais, et à l’étranger des tentacules. Au-dedans comme au dehors, la prédation
pervertit l’homme et modifie profondément ses rapports : de frère qu’il était
pour le prochain, l’homme devient pour l’homme un loup, un vautour, un
prédateur. Les guerres en RD Congo ont, en effet, été et reste souvent des
guerres de prédation interne et externe dont les contours ont été étudiés
largement par différents panels qui ont établi des bilans macabres en termes de
million de Congolais sacrifiés. Mais aucune mesure de réparation n’a été
appliquée. Ainsi, la guerre et la violence détruisent tant de frères et sœurs.
Elles enfoncent dans la misère. Elles s’inscrivent dans la logique du péché
individuel ou collectif qu’il faut guérir par le cercle vertueux de la justice,
de l’amour, de la vérité, de l’équité, de la fraternité, autant de dons de Dieu
à l’homme. Dans sa miséricorde, Il accorde ses dons spirituels sans
discrimination de nation, de race, de langue, de culture et de religion. Pour
cette guérison, nous n’avons cessez d’invoquer la miséricorde de Dieu sur notre
peuple et sur les peuples meurtris de par le monde.
3. Causes immédiates de la
reprise des hostilités : intérêts particuliers et prédation
Quand on examine
certains mobiles avancés pour reprendre les violences, on s’aperçoit qu’ils
s’apparentent à des prétextes plutôt qu’aux vrais motifs qui nous semblent être
:
• Echapper à la justice pour les délits individuels commis quelque part, dans
le passé ;
• Eviter l’intégration dans les forces armées ;
• Maintenir le statu
quo favorable à la prédation. En attendant, le pays continue à fonctionner en
partie comme une espèce de réserve, un no man’s land, une jungle où des contrées
entières sont abandonnés à la merci de groupes d’intérêts, au détriment de
populations locales qui par ailleurs n’ont que déjà trop souffert de carence
d’Etat, ou tout au moins de sa faiblesse manifeste. Gestion calamiteuse des
réfugiés rwandais par la communauté internationale. En 1994, à la suite du
génocide rwandais, sous mandat de l’ONU, la France, avec l’opération turquoise,
a introduit chez nous des millions de réfugiés, y compris des militaires et les
milices armés ; le HCR l’a relayé et les y a nourris durant deux ans pour les
abandonner ensuite dans nos forêts, sans plus d’identification administrative,
ni dans leur pays d’origine, ni au Congo, ni à l’ONU. Il y a eu un temps où on a
même déclaré qu’il n’y avait plus un seul réfugié rwandais en RD Congo. Mais les
faits sont têtus, les réfugiés sont bien là ! Ils y sont sans statut
administratif. Ils ne sont, de ce point de vue, ni citoyens de leurs pays, ni
réfugiés des Nations Unies, ni réfugiés comme tels accueillis par la RD Congo.
Aucune administration officielle ne sait y mettre un nom à un visage ; et l’on
s’étonne qu’ils soient incontrôlables dans leur agir devenu encore plus
inhumain. Même les criminels, devant la cour, commencent par décliner leur
identité complète. Quelle serait la leur aujourd’hui, 18 ans après les
événements de 1994. C’est pourquoi il faut penser à clarifier le statut
administratif de ce groupe humain et qu’en cette matière précise, l’Etat
congolais assume ses responsabilités régaliennes, qu’il exige une solution où
ils soient sous contrôle, comme dans tous les autres pays du monde. Quant au
statut pénal de ceux d’entre eux, soupçonnés de génocide, qu’il soit conforme au
principe général du droit, selon lequel l’infraction est personnelle et
individuelle, liée à un âge légal. Cependant, les jeunes gens qui ont entre 18
et 25 ans ne sauraient être concernés par les péchés de leurs pères. Comme le
dit Ezéchiel : « Les parents ont mangé les raisins verts, et ce sont les enfants
qui en ont les dents agacés » (Ez, 18, 2 ). La traque de ces gens devrait
pouvoir tenir compte de cette donne. Par contre, si ces jeunes commettent des
crimes sur le territoire congolais, comme c’est souvent le cas, malheureusement,
les juridictions de la RD Congo ont le pouvoir et le devoir d’en connaître,
conformément au code pénal congolais.
5. Une multitude de groupes armés à l’Est
de la RD Congo
Les violences d’anciens seigneurs de guerre y changent
constamment de dénomination, mais les mobiles et les acteurs restent les mêmes,
pour l’essentiel, ils ont tout fait pour échapper aux essais de restructuration
de l’armée nationale après les dernières guerres, de 1996 et de 1998. Ces essais
de réforme se sont faits sur base de compromis politiques mal négociés. En
effet, lorsque dans un pays multiculturel comme la RD Congo, l’autorité tolère
trop longtemps que d’importantes unités militaires soient constituées sur base
de composition principalement tribale, il en découle que d’autres groupes
humains aient tendance, eux aussi, à se constituer en une multitude de petits
Etats. Il est important de rappeler que la RD Congo compte près de 400 groupes
linguistiques. Ainsi notre pays se voit-il infesté d’une multitude de seigneurs
de guerre. De ces milices actives en 2009, la Conférence de Goma en a fait un
inventaire assez large. Aujourd’hui, beaucoup d’autres continuent à naître...
Dans tous les cas, au terme de la présente crise, il est urgent de mettre fin à
cet état de choses pour tous les groupes armés, qu’ils soient d’origine
nationale ou étrangère, sans quoi nous assisterons à l’installation de
l’instabilité. La mission des forces de l’ordre, de la police ou de l’armée est
de protéger toute la Nation et tous les citoyens et non pas un groupe
particulier. Les forces de l’ordre sont républicaines ou elles ne le sont pas.
Il n’y a pas de compromis à faire entre brassage et mixage. C’est une erreur du
passé à corriger aussi rapidement que possible, et il semble que le processus
était justement en cours, que les groupes armés actuels tentent de l’interrompre
par leur présente agitation. Pour tout dire, une armée républicaine unifiée est
essentielle à la vie d’une nation.
6. Crédibilité de l’Etat
Il y a certes des
avancées visibles dans plusieurs secteurs de la bonne gouvernance : la monnaie
est stable, le paiement des salaires a commencé à se faire, la police et l’armée
sont progressivement équipées, certaines infrastructures sont réhabilitées ou
même bâties à nouveau frais, la lutte contre la corruption se met timidement en
route. Le point faible de cette dynamique reste, toutefois, la sécurité des
personnes et de leurs biens. Devant la fréquence des meurtres, des assassinats,
des viols, des vols, du disfonctionnement de l’appareil judiciaire, des
arrestations et emprisonnements arbitraires entretenus par des magistrats véreux
qui remplissent nos prisons de personnes souvent innocentes, en défaveur
desquelles les sentences ne sont pas prononcées, les gens sont impatients de
voir l’Etat reprendre en mains sa mission et ses responsabilités principales.
Cela fait que beaucoup de Congolais s’interrogent sur la crédibilité de leur
Etat et sur sa capacité à accomplir sa mission régalienne en matière de
protection civile. Les hésitations et les ratées sont encore trop nombreuses
pour que des initiatives encore relativement limitées soient convaincantes :
c’est le cas nous semble-t-il en ce qui concerne le déguerpissement
d’usurpateurs d’immeubles publics illégalement acquis ou encore de constructeurs
anarchiques. Ainsi, par exemple, les citoyens sont-ils choqués de voir l’Etat
ordonner la démolition de maisons qu’il a lui-même autorisé à bâtir par ses
agents, ses préposés. Le phénomène est interprété comme un usage disproportionné
de la force contre le citoyen ordinaire, d’une part, et de l’impunité vis-à-vis
de ses propres fonctionnaires, d’autre part. Toutes ces situations compromettent
la crédibilité de l’Etat et poussent les gens à se rendre justice si bien que
les cas de lynchages deviennent fréquents. Pour y faire face, il est urgent que
les services publics redeviennent efficaces. L’usage de la force relève du seul
monopole de l’Etat, d’un Etat normal. C’est un langage que le pouvoir devrait
tenir clairement aux groupes armés, quels qu’ils soient et à tout malfaiteur
faisant usage de la force. L’Etat doit condamner sévèrement auteur, coauteur et
complice de toute infraction contre la Société. Mais pour parvenir à de
meilleurs résultats, une réforme en profondeur de l’administration s’impose :
que dans les textes et dans les mœurs administratives les agents soient
désormais tenus pour responsables de leurs actes au civil et au pénal lorsqu’ils
lèsent l’Etat ou le privé. Il faut également œuvrer à la conversion de
mentalités de la part de la population dans le sens de s’imprégner, elle aussi,
du sens du bien commun. Car, dans le phénomène de la corruption, le corrupteur
et le corrompu sont deux personnes en infraction.
7. Des raisons d’espérer
Nous
venons de traverser une période difficile, celle des élections de 2011. Bien des
observateurs prévoyaient l’éclatement du pays ; nous avons maintenu l’unité.
Nous félicitons notre peuple pour ce sens patriotique. Un nouveau Gouvernement
vient d’être mis en place. Il a fait l’objet d’un certain consensus national.
Puissions-nous lui donner des chances de réussir et de faire avancer le pays. Il
est souhaitable qu’à son tour, il reste à l’écoute de la population et mette en
route les amendements souhaités dans l’administration, les réformes du secteur
de sécurité, la politique étrangère et le développement durable du pays. Les
FARDC sont actuellement engagées au front. Nous saluons leur courage et leur
détermination. Nous espérons que leur contribution nous ramènera la paix tant
attendue à l’Est de la RD Congo. L’Organisation des Nations Unies ainsi que des
pays amis manifestent leur volonté d’appuyer la réforme et l’efficacité de nos
forces de sécurité, d’en renforcer les capacités et d’accompagner le
Gouvernement au cours de ce nouveau quinquennat Toutes ces synergies mises
ensemble produiront de bons fruits, espérons-nous. Conclusion Au terme de cette
lecture rapide des événements actuels, nous exprimons une fois de plus notre
attachement à l’unité, l’intégrité et la souveraineté de notre pays, nous
exhortons notre classe politique et nos populations à persévérer dans ce sens.
Nous avons besoin de conjuguer nos efforts pour ne pas voir notre pays voler en
éclat sous l’effet de forces centrifuges qui comptent beaucoup de prédateurs à
l’intérieur comme à l’extérieur. Nous exhortons les autorités congolaises à
mettre tout en œuvre pour que le 30 juin 2012 sur l’ensemble du territoire
national, les citoyens célèbrent dans la dignité et la paix le 52 ème
anniversaire de l’indépendance. Nous saluons les efforts fournis dans le sens de
la bonne gouvernance, nous souhaitons voir respecté le calendrier électoral.
Nous exhortons les autorités politiques de notre pays à rester vigilants
vis-à-vis des forces centrifuges, internes ou externes, qui sont portées à
balkaniser notre pays, la RD Congo. A la fin de ce mois de mai, consacré à la
dévotion mariale, nous implorons Notre Dame de la paix, pour qu’elle nous
obtienne une paix durable dans notre pays. A cette intention nous unissons nos
prières à celles de frères et sœurs qui, de par le monde, souffrent des mêmes
maux. Que les efforts entrepris pour ramener la paix portent des fruits en
abondance, afin que soit toujours plus vive et plus féconde l’unité de notre
pays, la RD Congo, l’unité de l’Afrique et celle du genre humain. Alors nous
pourrons chanter ensemble, avec le psalmiste : « Qu’il est bon, qu’il est doux
pour des frères d’habiter ensemble » Ps, 33, 2).
Fait à Bukavu, le 31 mai 2012
en la fête de la Visitation
Les Evêques de l’Assemblée Episcopale Provinciale de
Bukavu + François Xavier MAROY RUSENGO, évêque de Bukavu, Administrateur
Apostolique d’Uvira et Président de l’ASSEPB ;
+ Théophile KABOY RUBONEKA,
évêque de Goma ;
+ Melchisédech SIKULI PALUKU, évêque de BUTEMBO BENI et
Administrateur Apostolique de KASONGO ;
+ Willy NGUMBI NGENGELE, évêque de
Kindu.
Source: La
Prospérité, du 11/06/2012
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